[Tribune] Coups d’État et langue de bois : la démocratie aux abois !

 

Face à une recrudescence des coups d’État en Afrique de l’Ouest, Noël Bertrand Boundzanga* analyse la position ambiguë de la France, son rôle historique en tant que puissance coloniale et l’impact de ses actions sur la stabilité du continent. Des interventions militaires aux coups d’État constitutionnels, l’enseignant-chercheur à l’Université Omar-Bongo questionne, non sans parallèle avec le Gabon, la nature des soutiens occidentaux, en particulier français, aux régimes africains et met en lumière les contradictions entre la défense des valeurs démocratiques et les intérêts géopolitiques.

En malmenant la démocratie, on encourage les coups d’Etat ; en fabriquant la pauvreté, on encourage les coups d’Etat. Les coups d’Etat militaires naissent du désespoir et ils prétendent redonner vie à la vie. Contestables par principe, ils sont un oxygène conjoncturel. © GabonReview/Survie.org (image de fond)

 

Le professeur Boundzanga Noël Bertrand, enseignant-chercheur à l’Université Omar-Bongo, auteur de «Le Gabon, une démocratie meurtrière» (2016). © D.R.

Le désordre est manifeste en Afrique, là où la bâtarde colonisation civilisatrice annonçait que la raison éradiquerait l’obscurantisme noir-africain. Il ne faut pas tomber dans cette grossièreté associant l’Occident à la raison et l’Afrique à l’obscurantisme. Ce sont des légendes de mauvais goût et qui puent le racisme.

Voici donc qu’en Afrique de l’Ouest, un drapé insurrectionnel mené par des militaires torpille le constitutionnalisme et ses manèges. Comme on aimerait tant croire en la constitution ! Contre les nouveaux régimes du Mali, du Burkina Faso, de Guinée et maintenant du Niger, la communauté internationale et africaine, la France et la Cédéao notamment, a activé immédiatement des sanctions et appelé au retour à l’ordre constitutionnel. La même secte menace d’une intervention militaire contre les nouvelles idoles du peuple nigérien au nom de l’ordre constitutionnel. C’est à rire ! A cette allure, c’est la Cédeao qui va craquer. Deux cas pour dénoncer le réflexe de la France et de la mauvaise fratrie Cédéao-France.

Au Congo, en 1997, Denis Sassou Nguesso a fait tomber militairement Pascal Lissouba. L’OUA de l’époque a laissé prospérer le coup d’Etat contre la démocratie, Lissouba ayant été élu démocratiquement en 1992. Et la France, qui adore le pétrole congolais, trouvait au putschiste des qualités suffisantes pour commercer avec lui jusqu’à ce jour. Au Tchad, en 2021, Idriss Deby Itno est mort… sur le champ de bataille, dit-on. Toute honte bue, les monarchistes tchadiens ont installé le fils Déby à la tête de l’Etat, froissant à la main et au pied la Constitution du Tchad qui prévoyait d’autres dispositions qu’une succession de père en fils. Et c’est Emmanuel Macron, au nom des intérêts de la France, qui a adoubé le fils Déby, écrasant au vu et au su de tout le monde la Constitution de laquelle sont censées découler la légitimité et la légalité. Alors, quand on appelle au retour à l’ordre constitutionnel, il s’agit de quoi exactement ? C’est devenu simplement pavlovien, ça ne veut plus rien dire. Le constitutionnalisme !

Impérialisme et terrorisme

Que de douleur ! L’impérialisme français est aussi détestable que le terrorisme appliqué par les groupes pro-islamiques contre les Etats. Qui peut dire d’où s’origine exactement le terrorisme, si ce n’est dans la bouillie mal cuite qui mélange pauvreté, faiblesse de l’Etat, religion, mort des dieux, commerce des armes, idolâtrie de l’argent, capitalisme, conflit des civilisations… Mais qui arme les terroristes ? Qui a déstabilisé la Lybie pour permettre l’expansion du terrorisme ? L’impérialisme occidental a enfanté le terrorisme. Ainsi peut-on dire que le terrorisme est le fils mal aimé de l’Occident, la fille aimée étant la démocratie que la France malmène allègrement en soutenant des régimes dictatoriaux et des dynasties qui pullulent en Afrique et qui prospèrent contre les peuples. La France soutient donc des régimes terroristes.

L’industrie légale de l’armement est l’industrie la plus meurtrière du monde. Et ce ne sont pas les petites unités de production d’armes africaines (Afrique du sud, Zimbabwe, Nigeria, Ghana, Egypte, etc.) qui fournissent les armes aux dictateurs africains. La France compte parmi les pays qui vendent les armes en Afrique. Et les gouvernements légitimes ou illégitimes possèdent des armes puissantes et si inutiles qu’ils finissent par les braquer contre leurs peuples. Qui a vendu les armes à Denis Sassou Nguesso contre Pascal Lissouba, ou à Faure Eyadema ? Qu’est-ce que l’impérialisme français sans les armes ? Pourquoi la France est-elle obligée d’armer et d’entraîner les gardes présidentielles en Afrique ? Quelle leçon la France peut-elle encore valablement donner en Afrique et à l’Afrique ? Il y a longtemps qu’on associe l’impérialisme français au terrorisme. La chose n’était pas seulement dite, cependant elle était entendue.  Comment des Etats démocratiques soutenus par des puissances comme la France peuvent-elles perdre face au djihadisme ? Quel est le soutien que la France apporte à ces Etats ? Et Bazoum de déplorer que les djihadistes soient plus puissants que sa propre armée ! Quand on est soutenu par la France, on est censé gagner, pas perdre !

Les coups d’Etat constitutionnels dans la démocratie

Au Gabon, en 2016 au moins, Ali Bongo a perdu la présidentielle. C’est un coup d’Etat qui s’est passé en 2016. Comment ne pas vivre d’ivresse des coups d’Etat quand les démocraties deviennent le lot quotidien des coups d’Etat successifs et à succès ? En malmenant la démocratie, on encourage les coups d’Etat ; en fabriquant la pauvreté, on encourage les coups d’Etat. Les coups d’Etat militaires naissent du désespoir et ils prétendent redonner vie à la vie. Contestables par principe, ils sont un oxygène conjoncturel.

Les coups d’Etat militaires sont la preuve que la démocratie est devenue un prétexte pour donner la puissance d’Etat à des hommes de guerres qui écrasent à l’intérieur de leurs régimes même les gens les plus brillants. Il y a donc un lien entre démocratie et coups d’Etat : l’armement ; la démocratie étant, dans des pays comme le Gabon, le Cameroun, le Togo, le Congo, et même la Côte d’Ivoire, un coup d’Etat permanent. Il faut d’ailleurs remarquer que les coups d’Etat constitutionnels et les coups d’Etat militaire sont faits par ces mêmes groupuscules qui se partagent la puissance d’Etat. Cet état des choses n’est possible que grâce aux soutiens occidentaux, la France chef de file dans son fief historique. L’Occident vend des armes à ses agents africains pour mater les peuples sous le fallacieux prétexte d’une légitimité du monopole de la violence de l’Etat. Tout le monde aura remarqué que même les militaires se réclament de l’Etat dont ils veulent préserver l’intégrité territoriale. En tout cas, les régimes dits démocratiques sont, dans notre expérience, des régimes armés contre leurs peuples. C’est en ce sens qu’il m’est arrivé d’écrire cet essai au titre sans équivoque : Le Gabon, une démocratie meurtrière.

Peut-on vaincre la France ?

La France prétend que, contre le nouvel homme fort du Niger, ses accords de coopération ne sont plus valides ; elles ne le seraient qu’avec des autorités légitimes. La France a donc fabriqué les conditions de la légitimité des personnes auxquelles elle porte assistance et protection ; les peuples en sont exclus, on l’a vite compris. Car, en vertu de quoi, par exemple, Ali Bongo est-il légitime au Gabon ? Eyadéma est-il légitime au Cameroun ? Mahamat Idriss Déby et Denis Sassou Nguesso sont-ils légitimes au Tchad et au Congo-Brazzaville ? Qu’est-ce que la légitimité pour la France ? Patrice Talon, Macky Sall, le fils Deby et Ali Bongo jouissent-ils de la même légitimité ? Pour qui les présidences à vie comme celle de Biya au Cameroun et les présidences dynastiques du Togo et du Gabon sont-elles légitimes ? Trop élastique, la langue française risque d’être trompeuse, à moins que ce soient les locuteurs qui trompent la langue ! La mafia française ne rend même compte du danger qu’elle fait courir à la langue française, en la rendant ainsi détestable.

La France peut-elle jurer qu’elle ne travaille qu’avec des gouvernements légitimes ? Sa langue de bois a trop duré déjà. Et vaincre la France, c’est vaincre sa langue de bois ; la mettre face à ses démons ; l’obliger à se regarder telle qu’elle est, non comme elle se représente. Vaincre la France, c’est aussi obliger les Africains à se soigner du statut de « double agent » que les encercle. Parce qu’ils affaiblissent de manière discontinue les structures de l’Etat post-colonial, poursuivant ainsi l’œuvre coloniale en un sens encore plus confus.

La Cédéao n’attaquera pas le Niger, pas seulement parce qu’elle n’en a pas les moyens et que les conséquences d’une intervention militaire sont incalculables, mais parce qu’elle n’en a pas la volonté. La fraternité en ces lieux ne l’y autorise pas. C’est la France qui, la première, a brandi cette éventualité pour ensuite espérer la sous-traiter avec la Cédéao. L’organisation régionale serait mal inspirée d’engager une telle affaire. Attaquer le Niger alors qu’elle n’arrive pas à vaincre le terrorisme qui l’humilie et fractionne ses Etats membres ! Ce serait ajouter du terrorisme au terrorisme ! On dira des Africains qu’ils sont encore idiots ! La seule coalition militaire qui prévale aujourd’hui est celle qui permet de restaurer l’unité territoriale des Etats de la Cédéao. Les coups d’Etat militaires ne sont pas nés du terrorisme ; au Niger, ce n’est pas le premier… ni au Mali, au Burkina Faso ou en Guinée ! Une histoire de désordre mental que l’Afrique centrale exemplifie aussi avec ses coups d’Etat constitutionnels, coups d’Etat militaires et ses dynasties. Parce que le fantasme de posséder la puissance de l’Etat est supérieur au désir de structurer l’Etat et d’organiser une meilleure vie collective. On le voit d’ailleurs actuellement au Gabon où les contorsions du régime Bongo pour garder le pouvoir trahissent l’obsession pathologique de demeurer au pouvoir. C’est par là aussi que la France se moque de l’Afrique tant elle y voit toujours s’écrire des tragédies telles que celle du roi Christophe signée par le divin Aimé Césaire.

La Cédéao, qui ne peut donner aucune injonction aux Etats membres parce qu’elle a trop longtemps montré sa fébrilité, doit profiter de ce coup d’Etat du Niger pour régler les vrais problèmes de la sous-région et laisser la France s’empêtrer seule dans sa langue de bois.

Boundzanga Noël Bertrand

*Maître de conférences à l’UOB, écrivain.

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