Rejet des recours contre le ‘’bulletin unique’’ : Raisonnement spécieux

 

La Cour constitutionnelle a rejeté les recours contre le décret fixant les modalités de bulletins de vote pour l’élection du président de la République et des députés. Cette décision ne contribue ni à dissiper les incompréhensions ni à la crédibiliser.

La Cour constitutionnelle a cru bon de ne pas dire le droit, volant au secours d’un camp politique sans se soucier de son image et de sa crédibilité. Encore moins de la réputation du pays. © Montage GabonReview

 

 

Le 12 août courant, la Cour constitutionnelle a rejeté les recours contre le décret fixant les modalités de bulletins de vote pour la présidentielle et les législatives. Cette décision ne contribue ni à dissiper les incompréhensions ni à calmer les inquiétudes de l’opinion. Encore moins à crédibiliser la juridiction constitutionnelle. Bien au contraire. Déjà, Mike Jocktane n’y va pas avec le dos de la cuiller : «Ce bulletin inique (…) est une bêtise sans nom, totalement illégitime, incohérent et incompréhensible (…) il est parfaite contradiction avec l’article 94 du Code électoral« , a-t-il lancé, ajoutant : «Que la Cour constitutionnelle laisse passer cette absurdité est tout simplement choquant (…) Cette institution (…) préserve uniquement les intérêts de la majorité, tout en faisant fi des droits des citoyens

Chaque bulletin vaudra pour la présidentielle et les législatives

Contrairement aux requérants, Marie-Madeleine Mborantuso et ses pairs ont estimé «que le fait pour le Centre gabonais des électons (CGE) (…) d’avoir arrêté que les candidats présentés par un même parti politique aux élections (…) (législatives et présidentielle) figurent sur un même bulletin de vote ne viole pas le principe de la séparation des pouvoirs.» Pour eux, «cela permet (…) aux électeurs d’exercer librement et en toute sérénité leur choix». A la surprise générale, les juges constitutionnels ont dit ne pas avoir connaissance de «la disposition (…) qui prévoit (…) que les modalités de bulletin de vote arrêtées par le CGE ne vont s’appliquer qu’à une catégorie de citoyens et non pas à tous les citoyens». En raisonnant de la sorte, ils ont refusé de tenir compte des candidats indépendants et même d’imaginer des cas pratiques, préférant s’adonner à un raisonnement spécieux.

Le 26 août prochain, chaque vote comptera pour deux. Chaque bulletin vaudra pour la présidentielle et les législatives. Se posent alors quelques questions. Si un électeur choisit un candidat indépendant à l’une des élections, ne sera-t-il pas automatiquement empêché d’exercer son devoir de citoyen à l’autre ? S’il se prononce pour un candidat à la présidentielle ne disposant pas de postulant à la députation sur le siège concerné, ne sera-t-il pas contraint de renoncer à son droit de choisir son représentant à l’Assemblée nationale ? S’il choisit le candidat à la députation d’un parti n’ayant pas de candidat à la présidentielle, pourra-t-il encore prendre part à l’élection du président de la République ? Alliés du Parti démocratique gabonais (PDG), les militants du Cercle des libéraux réformateurs (CLR) ou de l’Union pour la démocratie et l’intégration sociale (Udis) auront-ils la possibilité de voter pour leurs coreligionnaires aux législatives et pour Ali Bongo à la présidentielle ? Manifestement non. Dès lors, on peine à comprendre comment la Cour constitutionnelle n’y a pas vu une atteinte au libre exercice du vote.

Ne pas dire le droit

En lice à la présidentielle et sur les 143 sièges de députés, le PDG peut se réjouir de cette décision. Une annulation du décret querellé aurait entraîné une distinction entre la présidentielle et les législatives. Par conséquent, les électeurs auraient eu la possibilité de voter pour un candidat PDG à la députation sans être contraint de choisir Ali Bongo. Dans un environnement où le vote peut dépendre d’affinités diverses, l’ex-parti unique aurait alors pu conquérir l’Assemblée nationale et perdre la présidence de la République. Effrayée par cette perspective, la Cour constitutionnelle a cru bon de ne pas dire le droit, volant au secours d’un camp politique sans se soucier de son image et de sa crédibilité. Encore moins de la réputation du pays.  N’empêche, comme le dit notre confrère Télesphore Obame Ngomo, ce «bulletin unique» peut devenir «la balle unique qui tuera Ali Bongo». Comme il le précise, «ce mode opératoire lui empêche des milliers et des milliers de voix», notamment celles des militants des autres composantes de la majorité.

Reste à savoir comment se fera le dépouillement et le comptage des voix. N’en déplaise au CGE et à la Cour constitutionnelle, rien ne semble clair. Or, eu égard à la radicalisation des positions, tout peut arriver. Ayant l’impression d’être piégées ou d’assister à la réinvention des règles démocratiques voire à l’accouchement d’un régime politique inconnu des constitutionnalistes, les populations pourraient se laisser porter par leurs émotions, au risque d’agir de façon incontrôlée.  Si elle avait voulu faire écho aux appels à la sérénité ou œuvrer à des «élections aux lendemains apaisés», la juridiction constitutionnelle se serait rendue à l’évidence :  ce «bulletin unique» ne garantit ni le libre choix des électeurs ni l’égalité des citoyens devant la loi. Pis, il contrevient au principe de séparation des pouvoirs.

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