Présidentielle 2023 : Climat de tension

 

Ajustements de dernière minute, connivence institutionnelle, procès d’intention… Les institutions laissent le sentiment de vouloir distiller la peur et non garantir la paix.

Le Code de procédure pénale ne donne nulle part aux procureurs de la République une mission de sensibilisation juridique. Qui donc peut les contraindre à s’exprimer le même jour, en des termes identiques, laissant le sentiment de bander les muscles ou de se dresser face au peuple ? Une inédite coordination faisant penser à une action censée distiller la peur et pas garantir la paix. © GabonReview

 

À un mois des élections générales, le climat politique se crispe davantage. En plein processus électoral, le gouvernement s’est attaqué aux verrous censés garantir l’intégrité du vote. Sans rien trouver à redire et avec célérité, le Parlement a voté ces ajustements de dernière minute. Dans la confusion générale, le président de la République a promulgué la loi ainsi modifiée. Saisie par de nombreuses forces sociales, la Cour constitutionnelle n’a rendu sa décision que très tardivement. Pendant ce temps, le Centre gabonais des élections (CGE) se livre à des interprétations spécieuses des textes soit pour disqualifier des candidats soit pour imposer de nouvelles règles. Si le meeting d’Alexandre Barro Chambrier a été émaillé de violences, le Parti démocratique gabonais (PDG) y est allé à reculons pour condamner ces actes, s’y prêtant sous la pression de l’opinion, un peu plus de 48 heures après leur commission.

Micmac destiné à impressionner

Comme si cette lenteur n’était pas suffisamment éloquente, les procureurs de la République ont synchroniquement rappelé les peines encourues en cas de troubles. Comme l’enchaînement des événements, la concomitance de ces déclarations en rajoute à l’émoi et au trouble. Pourquoi ces rappels subits ? Pour mettre en garde les populations d’autres contrées du pays ? Mais le parquet de Franceville a déjà ordonné une enquête. Ne valait-il pas mieux la laisser aller à son terme dans le calme et la sérénité ? Qui a assez d’autorité pour contraindre les procureurs à s’exprimer le même jour, en des termes identiques ? Où l’on en vient à interroger le rôle du ministre de la Justice et, pourquoi pas, du président de la République, par ailleurs président du Conseil supérieur de la magistrature. Or, Ali Bongo est candidat à sa propre succession.

Sans tomber dans la suspicion gratuite, la connivence institutionnelle parait évidente. Autrement dit, cette inédite coordination laisse croire en un micmac destiné à impressionner et non à préserver l’ordre public. Il fait penser à une action concertée, censée distiller la peur et pas garantir la paix. A la fin des fins, cela renvoie l’image d’institutions aux ordres, ayant pris fait et cause pour une chapelle politique. Pourtant, le Code de procédure pénale énonce les attributions du procureur de la République. Pêle-mêle, cette loi lui confère la capacité à recevoir les plaintes et dénonciations, apprécier la suite à leur donner, procéder ou faire procéder «à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions». Nulle part, elle ne lui donne une mission de sensibilisation juridique, cette tâche étant dévolue à la société civile voire aux partis politiques. Le parquet ne le sait-il pas ? Pourquoi est-il sorti de son rôle ?

Manœuvre d’intimidation

Depuis le début du processus électoral, les institutions s’illustrent par le mélange des genres, une connivence à peine masquée et une volonté d’entretenir la tension. L’annulation du décret relatif aux délégations spéciales chargées de recevoir les déclarations des biens des candidats aux élections politiques ? Elle n’a guère ému le CGE. Au vu et au su de la Cour constitutionnelle, l’instance électorale a continué d’en appliquer les dispositions. Les interrogations sur les conditions de promulgation de la loi supprimant l’usage de l’enveloppe accolée ? Elles n’ont pas donné lieu à des clarifications, le gouvernement et la juridiction constitutionnelle s’étant murés dans un mutisme aux confins du mépris. Quand on se remémore du dénouement des présidentielles de 2009 et 2016, ces silences font craindre le pire. Des «élections aux lendemains apaisés» peuvent-elles être organisées dans un tel capharnaüm ? Sont-elles envisageables quand les pouvoirs ne se contrebalancent plus, mais laissent le sentiment de bander les muscles ou de se dresser face au peuple ?

Ne s’étant guère posé ces questions, le ministère public a choisi d’y aller de sa transgression, brandissant le bâton. Même si on peut lui savoir gré d’avoir appelé les parties à la «retenue» et à la «responsabilité», sa dernière sortie avait des allures de manœuvre d’intimidation. Est-ce un hasard si notre confrère, le pro-gouvernemental quotidien L’Union, s’est empressé de titrer : «Avertissement du parquet» ? Des violences ont certes eu lieu à Franceville, mais la justice ne peut soupçonner d’autres populations d’en préméditer. Sauf à faire dans le procès d’intention, elle ne peut menacer des gens sur le fondement de délits commis par d’autres. Préjudiciable à son image et à sa crédibilité, ce mode de faire ne contribue nullement à l’apaisement. Bien au contraire. Jour après jour, des «élections aux lendemains apaisés» s’apparentent à un vœu pieux.

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